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La troisième femme, Hugo Marsan

Publié le par Jean-Yves Alt

Afin d'échapper aux brûlures amères de la mémoire, Jean, Hélène et Thomas sont venus se réfugier dans une petite ville de province, Raffec. Une de ces villes insipides où il ne se passe jamais rien, et dont la banalité feutrée semble garante d'une vie - sinon heureuse - du moins sans histoires.

C'est au fin fond de la campagne, dans deux maisons jumelles que ces personnages ont « enfermé leur étrange destin ».

Jean, professeur d'une trentaine d'années, est marié à Hélène ; Thomas, professeur lui aussi, est leur ami. Mais l'on devine très vite, entre ces deux hommes, un attachement viscéral, une passion d'autant plus forte que nouée dès l'enfance de Jean, à l'ombre de laquelle Hélène paraît s'épanouir étrangement.

Rien de racinien dans ce trio : l'amour circule, à des degrés différents certes, entre Jean, Hélène et Thomas. Tous ont en commun la quête d'un reflet d'eux-mêmes, quête impossible, et sans doute désirée comme telle.

Hélène apparaît comme la gardienne souriante de cette étrange confrérie de fantômes, femme dont on découvre peu à peu qu'elle est moins éprise de son mari que fascinée par la relation tacite qui existe entre ces deux hommes.

Il y a ce bonheur précaire mais poignant : matinées d'octobre luisantes de soleil, embaumées de l'odeur du café...

Seule note d'angoisse dans cette oasis de connivences, ce fantôme que Jean rencontre chaque soir, quand il rentre en voiture de son travail ; cette vieille femme qui surgit de la brume et de la nuit, là, debout sur la route dans sa djellaba blanche, les bras en croix.

Face à ce spectre gémissant, Jean, en proie à la terreur, ne peut pas mettre de nom.

Cette femme aurait-elle un rapport avec sa mère, morte à l'occasion d'un accident mystérieux - peut-être même par sa faute ?

L'apparition d'une femme jeune et désireuse de vivre, Isabelle, va compromettre un moment cette ambiguïté savamment maintenue par les trois amis.

Amoureux, Jean voit enfin s'ouvrir pour lui une perspective riante, la possibilité d'échapper à ce trio à la fois aimé et haï. C'est alors que la machine infernale lentement mise en place va refermer inexorablement ses mâchoires : la tentation de vivre débouche sur la mort, la folie, l'épaisse nuit qui n'est jamais assez noire pour engourdir la souffrance.

Cette histoire, par le suspense et ses crimes inattendus, peut se lire comme un roman policier mais elle est avant tout celle d'une lente dépossession des êtres.

 Celle de Jean, bien sûr, objet d'une manipulation odieuse et subtile de la part de ceux-là mêmes qui disent l'aimer le plus. Jean obsédé par la vieillesse, englouti peu à peu dans la folie, réduit à l'état de momie affective, condamné à l'immobilité pour avoir été un jour cet enfant trop beau courant sous le soleil : papillon éphémère épinglé par l'amour.

 Celle d'Hélène, figure inoubliable qui a troqué sa vie contre un beau mirage, le réel pour l'imaginaire, Hélène qui préfère à l'existence son image, femme-miroir attentive à ne refléter que ces deux visages de garçons qui n'osent pas s'aimer directement, femme alibi dont le destin lui-même est un alibi, une façon de ne pas se rencontrer, de maquiller la mort, ou plutôt de mimer la mort pour ne pas lui faire face : « Je suis la mort dans sa robe noire, je suis la mort noire, grise, soûle... Je suis complètement soûle, je suis grise. Je suis la mort qui se grise : elle s'ennuie de ne pas tuer. »

Quant à Thomas, il a plongé lentement tout l'univers dans les ténèbres afin que soit baigné de lumière un visage unique : celui, bien sûr, de Jean enfant, qu'il a profondément chéri ; celui, éblouissant mais artificiel de Gabriel, ce jeune élève, pour qui, il ne veut éprouver qu'une violente flambée de sensualité. C'est par « cet enfant roi d'un royaume sans blessures » qu'il est mortellement fasciné, cet enfant impossible à atteindre.

Comment tenir en échec le spectre grisonnant de la troisième femme, figure menaçante de la castration, mais aussi de la sexualité et de la mort ?

■ La troisième femme, Hugo Marsan, éditions Acropole, 1998, ISBN : 2735700534


Du même auteur : Monsieur désire - Le balcon d'Angelo - La troisième femme - Le labyrinthe au coucher du soleil - Véréna et les hommes - Saint-Pierre-des-Corps - La femme sandwich - Les absents

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