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Parfois, dans les familles, Michel Manière

Publié le par Jean-Yves Alt

Ce qui frappe, quand on aborde aux rives bruissantes d'enfance du très beau roman de Michel Manière intitulé pudiquement : « Parfois, dans les familles », c'est qu'il y a certaines expériences dont on ne revient pas. De quoi est donc faite cette enfance qui laisse une aussi inguérissable blessure ?

Depuis le suicide du frère aîné Antoine, chaque membre de la famille a développé son caractère énigmatique – tendresse mêlée de crainte, inquiétude sourde devant la menace de la dislocation.

La vie s'est alors mise à danser sur une corde raide, et, pour le narrateur enfant Paul, il n'est pas facile de ne pas être aussi voué – par le rôle des parents et de sa sœur – à une désagrégation psychique croissante.

Il y a aussi tous ces petits riens – non spectaculaires, au sens adulte de ce mot – qui pourraient faire croire que tout va pour le mieux : les repas avec les assiettes bien remplies, une mère dévouée… et quelques incidents comme le lapin Robert qui a foutu le camp...

Les yeux fixés sur les membres de sa famille, Paul enregistre les désarrois de chacun – révélés par les paroles et les silences – qu'il traduit et d'après lesquels il invente ses propres histoires («l'enterrement de la mariée» est superbe).

Pour Paul, le narrateur enfant, comme pour l'autre narrateur sans nom (Paul adulte ?), l'imaginaire amplifie aux plus extrêmes limites une réalité perçue avec acuité.

Il y a dans ces pages une rare qualité de présence – dont se compose la suave violence des jours de l'enfance – ressuscitée par un écrivain assez sûr de son art, pour nous la faire partager.

■ Parfois, dans les familles, Michel Manière, Éditions du Seuil, février 2009, ISBN : 9782020987141


Du même auteur :

La fatalité célibataire : Trois histoires exemplaires plus une

A ceux qui l'ont aimé

Le droit chemin

Du côté du petit frère

Les nuits parfumées du petit Paul

Le sexe d'un ange

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Les tentations de Gustave Flaubert

Publié le par Jean-Yves Alt

Gustave Flaubert ou l'art et la manière de n'aimer que les hommes ?

Flaubert, curieux de tout, l'était aussi de l'homosexualité. Entre Maxime Du Camp, parisien sportif, dandy, poète, touche-à-tout, et Flaubert, provincial orgueilleux et timide, se créa, on le sait, une amitié que la mort seule dénoua ; une union délicieuse et clandestine de deux amants contre l'opinion publique.

C'est avec lui qu'il se promena partout en France en 1847 et il est le partenaire de ses plus sincères émotions. C'est en sa compagnie qu'il voyage à travers le Moyen-Orient de 1849 à 1851.

Au retour de cette expédition, Flaubert s'isole pour écrire : entre-temps, il rencontre un autre ami, Louis Bouilhet, poète qui chanta l'homosexualité. C'est à ce dernier que Flaubert envoie ces mots le 1er décembre 1849 :

« Nous t'embrassons, pioche raide. »

Bouilhet a la réputation d'être un joyeux Priape et de l'avoir plutôt costaude. Totale amitié qui vient fouiller ses preuves jusque dans le creux des pantalons ! Flaubert se sentait un droit de regard sur la fréquence des bandaisons de Bouilhet qui, de son côté, tenait la comptabilité de ses foutreries. Entre ces hommes et Flaubert s'étend une distance, aimantée certes par le désir, mais toujours maintenue par une interdiction mystérieuse.

Ces douceurs de l'amitié ont des retombées autrement plus concrètes dans la vie de Flaubert. On ne peut, à ce jour, recenser que quelques anecdotes homosexuelles dans l'existence assez chaste de Flaubert ; celui-ci avait fait jurer à Bouilhet de brûler la plupart des lettres sans doute trop compromettantes à son goût. Flaubert est alors en Egypte avec Maxime Du Camp : les plaisirs se suivent et se ressemblent. C'est presque un trop-plein d'émotions, n'étaient ces danseuses nues dont Flaubert déplore l'absence fréquente. Pas plus de bordels au Caire :

« Mais nous avons eu les danseurs », rectifie Flaubert dans une de ces longues lettres à Bouilhet. Et d'ajouter, un rien goguenard, tout au régal de décrire ces créatures : « Oh ! Oh ! Oh ! C'est nous qui t'avons appelé [...]. Comme danseurs, figure-toi deux drôles passablement laids mais charmants de corruption, de dégradation intentionnelle dans le regard et de féminéité dans les mouvements, ayant les yeux peints avec de l'antimoine, et habillés en femmes. Pour costume, de larges pantalons, et une veste brodée qui descend jusqu'à l'épigastre, tandis que les pantalons, au contraire, retenus par une énorme ceinture de cachemire [...], ne commencent à peu près qu'à la motte, de sorte que tout le ventre, les reins et la naissance des fesses sont à nu [...]. Les danseurs passent et reviennent, ils marchent remuant le bassin avec un mouvement court et convulsif. C'est un trille de muscles (seule expression qui soit juste). Quand le bassin remue, tout le reste du corps est immobile. Lorsque c'est au contraire la poitrine qui remue, tout le reste ne bouge [...]. L'effet résulte de la gravité de la tête en opposition avec les mouvements lascifs du corps. Quelquefois ils se renversent tout à fait sur le dos par terre, comme une femme qui se couche pour se faire baiser [...]. De temps à autre pendant la danse, le cornac ou maquereau qui les a amenés folâtre autour d'eux, leur embrassant le ventre, le cul, les reins, et disant des facéties gaillardes pour épicer la chose qui est déjà claire par elle même […]. Je doute que les femmes vaillent les hommes. » (1)

Flaubert se disait indigné par le spectacle tout en se promettant de faire venir l'un des danseurs, un seul, un danseur merveilleux qui me dansera l'abeille en particulier. Indigné ? Au contraire. Ce qu'il venait de voir avait été beau mais trop beau pour qu'il soit excitant. (1)

Flaubert n'est encore qu'un contemplateur silencieux voué au seul plaisir de savourer des préliminaires amoureux auxquels il ne prend pas part, légèrement pétrifié, quoique excité déjà par ce spectacle de corruption. En revanche, vaguement échauffé par le trouble qu'implique toute confidence, le voilà racontant bientôt son premier passage à l'acte homosexuel :

« Puisque nous causons de bardaches voici ce que j'en sais. Ici c'est très bien porté – on avoue sa sodomie et on en parle à table d'hôte. Quelquefois on nie un petit peu, tout le monde alors vous engueule et cela finit par s'avouer. Voyageant pour notre instruction et chargés d'une mission par le gouvernement, nous avons regardé comme de notre devoir de nous livrer à ce mode d'éjaculation. » (1)

C'est au bain que cela se pratique :

« On retient le bain pour soi et on enfile son gamin dans une des salles. Tu sauras du reste que tous les garçons de bain sont bardaches. Les derniers masseurs, ceux qui viennent vous frotter quand tout est fini sont ordinairement de jeunes garçons assez gentils. » (1)

Voilà pour le décor, mais il faut un certain temps avant que l'ethnologue ricanant daigne se mettre lui-même en scène :

« Ce jour-là, mon Kellak me frottait doucement, quand, étant arrivé aux parties nobles, il a retroussé mes boules d'amour pour me les nettoyer, puis continuant à me frotter la poitrine de la main gauche il s'est mis à tirer sur mon vit et le polluant par un mouvement de traction, s'est penché sur mon épaule en me répétant : batchis, batchis (pourboire, pourboire)... » (2)

« L'occasion ne s'est pas encore présentée, nous la cherchons pourtant. C'est aux bains que cela se pratique. On retient le bain pour soi (5 fr, y compris les masseurs, la pipe, le café, le linge) et on enfile son gamin dans une des salles. » (2)

« À propos, tu me demandes si j'ai consommé l'œuvre des bains. Oui, et sur un jeune gaillard gravé de la petite vérole et qui avait un énorme turban blanc. Ça m'a fait rire, voilà tout. Mais je recommencerai. Pour qu'une expérience soit bien faite, il faut qu'elle soit réitérée. » (2)

Dans les quelques passages (2) que l'on peut lire dans ses correspondances, Flaubert rédige une littérature de moiteurs lascives. Le désir, chez lui, met plutôt en mollesse. Même dans les scènes de consommation homosexuelle, il faut reconnaître que nous sommes loin du régime de super masculinité. La vertu du sexuel n'est pas de posséder, mais à l'inverse d'être pénétré de toutes parts, de laisser aller son corps dans le tournoiement d'un être abandonné, de se vivre comme une offre de chair. Mais si l'homme Flaubert se fait femme – lui qui va jusqu'à se traiter, dans ses moments de dépression, de « vieille femme hystérique » –, qu'en est-il des femmes réelles ?


(1) Harry Redman, Le côté homosexuel de Flaubert, éditions A l'écart, 1991, ISBN inconnu, pp.39 à 42

(2) Gustave Flaubert, Correspondance Tome 1 [janvier 1830 - mai 1851], éditions Gallimard / Bibliothèque de la Pléiade, 1973, ISBN : 2070106675, pp. 252 ; 571 à 573 ; 604 ; 606 ; 638 ; 653 ; 729 ; 761 ; 769


Illustrations tirées de l'ouvrage de Redman [de gauche à droite] : Gustave Flaubert adolescent – Maxime Du Camp – Louis Bouilhet par Etienne Carjat


Lire aussi : Bouvard, Flaubert et Pécuchet par Roger Kempf


Site Gustave Flaubert de l'Université de Rouen


Lire la lettre du 15 décembre 1850 de Gustave Flaubert à sa mère


Lire aussi : Flaubert altersexuel ? par Lionel Labosse [sur les Correspondances de Gustave Flaubert]

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Début XXe siècle : les sexologues contre la criminalisation des homosexuels

Publié le par Jean-Yves Alt

Depuis ses débuts, la sexologie avait été une science appliquée utilisant la recherche fondamentale menée dans tous les domaines de la médecine et de la biologie. Les sexologues s'approprièrent aussi les conclusions analytiques et les appliquèrent à leur discipline.

La recherche sur l'hermaphrodisme conduisit aux théories sur l'homosexualité ; la découverte des hormones et des chromosomes servit d'explications aux possibles différences de sexualité. Ainsi la sexologie fonctionna dès ses prémices comme une science sociale qui avait la prétention d'être une science de la nature, un statut auquel elle ne pouvait aspirer qu'en pratiquant une pensée analogique.

Les sexologues, bien qu'experts en sciences sociales, voulaient être des spécialistes des sciences naturelles. Cette stratégie ambiguë leur permit occasionnellement d'obtenir une certaine reconnaissance. Mais la valeur scientifique des confessions faites par les patients restait contestée, surtout par les médecins positivistes.

L'affaire Eulenburg en Allemagne allait donner un exemple frappant des ambiguïtés de la sexologie aux prises avec l'ordre social.

A la fin du XIXe siècle, les savants les plus éclairés de ce pays avaient entamé une campagne contre la criminalisation des actes sexuels contre-nature (relations homosexuelles, anales ou non, mais aussi rapports avec des animaux).

Parce qu'ils considéraient l'homosexualité comme une variante naturelle de la conduite sexuelle, ils estimaient que la criminalisation des actes homosexuels pratiqués entre hommes adultes (on ignorait dans la loi allemande le lesbianisme) étaient un vestige des superstitions médiévales anachronique à une époque qui se targuait de rationalité.

Tous les sexologues en vue, de Krafft-Ebing à Freud, signèrent une pétition en ce sens qui fut déposée devant le Parlement allemand, ou firent des déclarations de principe. Hirschfeld prit l'initiative de cette campagne. Sexologue de premier rang, il était le fondateur de la première organisation pour les droits des homosexuels et éditeur d'une revue sur les états sexuels intermédiaires (Jahrbuch für sexuelle Zwischenstufen 1899-1923).

A cette époque, les activités scientifiques et politiques des sexologues étaient fort éloignées de la conscience générale acquise sur l'homosexualité. Mais cette activité provoqua un retour de manivelle évident, par exemple dans les procès spectaculaires du tournant du siècle : ceux d'Oscar Wilde en 1895 et d'Alfred Krupp en 1902.

En 1907, le dernier et le plus important de tous ces scandales fut révélé quand le journaliste Maximilien Harden commença à s'en prendre à la «Camarilla de Liebenberg». Il faisait référence au prince Philipp d'Eulenburg, un ami proche et un conseiller de l'empereur Guillaume II, qui était aussi en relation avec le secrétaire de l'ambassade de France. Harden essaya de démontrer l'influence secrète de ce cercle sur la politique allemande et ses liens directs avec la France. Afin d'être encore plus persuasif, il insinua fortement que les deux personnages clef de ce cercle, Eulenburg et le comte Kuno von Moltke, commandant militaire de la ville de Berlin, entretenaient des relations homosexuelles. Moltke déposa une plainte pour diffamation contre Harden.

Parmi les raisons qui lui firent perdre son procès, il y eut le témoignage d'Hirschfeld, venu affirmer devant la cour, en tant qu'expert, que Moltke était vraiment homosexuel. Ses dires reposaient en partie sur les caractères physiques qu'il décelait chez Moltke et surtout sur les déclarations de son ancienne femme ; elle révéla aux juges qu'elle n'avait pas eu de relations sexuelles avec le comte durant leur mariage.

Dans un second jugement, en appel, on réussit avec succès à prouver que le témoignage de son ex-épouse était hystérique et diffamatoire. Hirschfeld fut obligé de revenir sur ses déclarations et contraint de dire que Moltke n'était pas homosexuel, que son expertise physiologique avait été fondée sur des rumeurs malveillantes et que ses remarques physiologiques, reposaient sur des conclusions extravagantes faites à partir de l'aspect extérieur d'un homme.

Après cela, la réputation d'Hirschfeld subit un coup à deux niveaux : d'une part, il avait dû en public renier un de ses avis fait en tant qu'expert, d'autre part, les homosexuels s'apercevant des conséquences négatives que pouvaient avoir ses interventions et ses théories abandonnèrent en masse son organisation, le WHK.

Ces procès n'entamèrent pas cependant la recherche en ce domaine. La social-démocratie allemande était spécialement intéressée par la sexologie : de plus, c'était le seul groupe politique qui se faisait le héraut d'une politique sexuelle plus libérale et qui était capable de l'imposer.


Illustration : Les nouvelles armoiries prussiennes avec Eulenburg et Moltke. Comme devise on peut lire « Mon âme – Mon petit vieux – Mon unique petit basset »

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Lorca & Dali, Ian Gibson

Publié le par Jean-Yves Alt

Federico, as-tu compris qu'ils allaient te tuer, lorsque le 16 août 1936 Miguel et Ruiz Alonso, fascistes ordinaires, vinrent t'arrêter ? Comment pouvais-tu imaginer que deux jours plus tard, on t'assassinerait ?

Les antirépublicains n'en étaient pas à leur premier crime et fusiller un rouge devenait une routine dans une Espagne terrorisée, déchirée entre le spectre du communisme et la propagande nazie. Pour ces exaltés aigris qui faisaient alliance avec Dieu et la morale, tu étais trois fois coupable : jeune poète célèbre et riche, tu affichais ton idéal socialiste... et homosexuel ! Les derniers résidus de la culpabilité s'effritent vite quand la victime est un pédé.

Lecture terrible que ces deux ouvrages sur Federico Garcia Lorca. Terrible et terrifiante, car même si Ian Gibson évite les pièges de la tragédie complaisante, le lecteur voit Federico brusquement conscient de l'horreur, lui qui avait si peur de la mort et avait tenté de l'exorciser dans ses poèmes. Il est vrai aussi que l'auteur n'évite pas toujours des évocations insidieuses d'un destin hanté par la fatalité de la faute et sa rédemption.

Lorca, beau, aimé de ses parents, très tôt célèbre, croyait au bonheur. Il meurt à trente-huit ans en pleine gloire, plein de projets. Pourvu de tous les dons : pianiste doué, chanteur, exceptionnel conférencier, auteur de théâtre totalement innovateur, immense poète qui sut concilier le surréalisme et la tradition populaire dont il fut un défenseur militant, Lorca aurait écrit sans doute l'œuvre la plus considérable du siècle.

Militant, il le fut avec talent et éloquence, sacrifiant son temps et son génie à la Barraca, une troupe de théâtre itinérante qui donna un nouveau souffle au grand répertoire dramatique espagnol et apporta dans les campagnes les plus reculées la culture qui, pour lui, était le meilleur moyen d'amener le peuple à une conscience politique.

C'est ce rayonnement qui irrita la droite comme l'irritèrent les pièces de théâtre qui mettaient en cause la morale traditionnelle et la pesanteur de la religion. Dramaturge décisif, Lorca sut peindre les femmes en comprenant le désastre du désir étouffé et la violence du scandale de la jouissance dans une société machiste.

Célèbre et adulé. Lorca fit un triomphe aux Etats-Unis, en Amérique du Sud et en France. Ce succès eut lieu de son vivant, et si de nombreux textes ont disparu et des projets n'ont pas eu le temps d'éclore, ses poèmes et son théâtre déchaînèrent l'enthousiasme.

Lorca était homosexuel, totalement, exclusivement. Il voulut aimer librement. Cet aspect de sa vie est très important. Lorca aima Dali qui le lui rendit mais qui, plus tard, sous l'influence de Luis Buñuel horrifié par l'homosexualité, nia leur passion réciproque. Dali a passé sa vie à mentir. Obsédé par son refus du corps féminin, résista-t-il complètement à ses pulsions homosexuelles ? Lorca n'a pas laissé de confidences sur sa vie sexuelle mais il est certain qu'en d'autres temps et libéré des pesanteurs sociales, il aurait écrit aussi sur l'homosexualité masculine comme il l'a souvent fait (entre les lignes dans ses poèmes et ses pièces) et directement dans El público (Le public), pièce posthume. Il aima les garçons. Grand et sportif, de quatorze ans plus jeune que lui, Rafael Rodriguez Rapún fut son plus solide et durable amour.

Les deux livres de Ian Gibson sont certes remarquables mais disent-ils assez que Lorca, poète fêté, aimait la vie ? Qu'il faut faire la différence entre ce que les poètes écrivent du désespoir et les joies qu'ils savent se donner…

- Federico Garcia Lorca, Ian Gibson, éditions Seghers/Biographie, 1990, ISBN : 2232101991

- Lorca-Dali : un amour impossible, Ian Gibson, éditions Stanké, 2001, ISBN : 2760406881


Lire aussi : Correspondance 1925-1936, Salvador Dali-Federico Garcia Lorca - Ode à Walt Whitman - A cinq heures de l'après-midi - Chanson de la petite folle - Chant funèbre par Federico Garcia Lorca

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Bloody Mary, Jean Vautrin

Publié le par Jean-Yves Alt

Jean-Yves Grandvallet a dix-huit ans. Militaire appelé, il subit, impassible, les brimades du sergent Reig Maxence et assiste au matraquage en règle de son copain Loiseau par le gradé sadique. Loiseau se révolte et en meurt.

Mais Reig Maxence, dans les marges d'un rôle de compensation où il réalise son idéal de virilité exacerbée, aime trop les hommes : son repos du guerrier est de se faire sucer et d'enfiler ceux-là qu'il brutalise.

Il a un grand faible pour Grandvallet qu'il daigne sortir du rang. Grandvallet ferme sa gueule mais jure de se venger à l'issue d'une comédie où il fait croire au sergent (quelque peu midinette dans le civil) qu'il est amoureux de lui et de sa belle queue de mec.

C'est le début d'une escalade de l'horreur et du crime…

D'une écriture violente et tendre qui prend en compte le parler populaire et regorge de trouvailles pittoresques, Jean Vautrin raconte les paumés, les ouvriers, les braves filles un peu putes, leurs rêves et leurs démons. Il dénonce aussi (sans jamais juger, par le seul jeu du récit et l'accélération des images) le fascisme ordinaire, le racisme et les conséquences de l'exclusion.

HLM, bistrots, égouts, parkings, caves de béton... le monde de Vautrin est sinistre mais irradié par son talent qui rend mythique et drôle tout à la fois un univers trop souvent rapidement stéréotypé. C'est fort et chaleureux. C'est juste.

Militaires et policiers n'ont pas le beau rôle. Les humbles ne sont pas à l'abri de l'humour. Le cœur de l'écrivain balance vers les victimes d'une société qui prône la réussite, l'argent et la puissance et propose à ceux qu'elle repousse le miroir aux alouettes d'un bonheur qui ne rend même pas heureux les nantis qui s'épuisent à en poursuivre les mirages.

■ Bloody Mary, Jean Vautrin, éditions Le Livre de Poche, 1987, ISBN : 2253029254

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