Je serai elle, Sylviane Dullak
Un « homme » devient une « femme ». Sylvain Dullak renaît Sylviane. Son témoignage est celui d'une femme qui a voulu s'assumer jusqu'au bout, affirmer son être profond malgré les apparences. Malgré les contraintes légales, l'incompréhension, voire l'hostilité de son entourage. Un témoignage qui a d'autant plus de poids que Sylviane est médecin et psychologue.
Sylviane Dullak tient à se démarquer des homosexuels et des travestis : « Ils ont imposé, au nom de tous, une définition globale et péjorative, étouffant un groupe minoritaire, dont je fais partie ». Son désir de n'être confondue ni avec les uns, ni avec les autres l'entraîne à évoquer rapidement, dans un trop bref appendice, le problème épineux de l'homosexualité innée ou acquise. La volonté de classification aboutit à une caricature d'un problème bien trop complexe pour être tranché en cinq pages : je regrette pour ma part cet appendice qui, sans rien enlever au témoignage de Sylviane Dullak, maintient l'image dévalorisante d'une homosexualité « incident de parcours ».
Ceci dit, Sylviane Dullak refuse pour elle-même l'étiquette « transsexuelle » : elle n'est pas devenue femme, elle se déclare née femme dans un corps d'homme. Quant à sa sexualité – si son passage dans un corps d'homme lui a valu une femme, une maîtresse et quatre enfants – elle serait restée bloquée à la puberté.
Sylviane a dû attendre des années pour pouvoir être elle-même. De la moquerie des condisciples (« tu cours comme une fille ») à la curiosité de sa maîtresse (qui l'appâte en lui prêtant ses robes), elle a passé par tous les stades de l'incompréhension : gestes jugés déplacés, propositions homosexuelles, insultes publiques. Ce qui fait peur, c'est l'inconnu, l'entre-deux, l'imprécis. À partir du moment où elle a pu se dire femme, physiquement et psychiquement, elle est rentrée dans une norme sociale. Son entourage (parents, amis, clientèle) l'a beaucoup mieux acceptée après l'opération. Peut-être est-ce cela qui justifie son refus de l'étiquette « transsexuelle » ?
Mais le plus grave dans les rapports de Sylviane avec la société, c'est la régression intellectuelle qui accompagne son impossible identification. « Je ne savais pas pourquoi je devais réussir ; pour devenir qui, pour faire quoi ? ». L'échec scolaire est un refuge : il justifie le retard sexuel, seule défense d'un organisme qui refuse les schémas classiques.
La première partie raconte la prise de conscience progressive accomplie par l'auteur. La fascination de la femme, prostituée, épouse, fille. La recherche d'une neutralité sexuelle, le refuge dans une profession asexuée, le refus des conversations extraprofessionnelles, nécessairement masculines. La décision qui mûrit lentement de transformer son corps.
C'est alors que se posent les problèmes physiques, techniques, légaux. Médecin, Sylviane Dullak les connaît bien. Avec une détermination stupéfiante, elle compose elle-même les traitements hormonaux, pratique elle-même l'ablation des testicules. Il faut lire la description hallucinante de l'auto-opération, les tâtonnements dans le dosage des hormones, le récit des opérations esthétiques – voix, nez, poils... – qu'elle contrôle sous anesthésie locale. Être femme jusqu'au bout.
Ce récit est aussi une mise en garde pour les candidats au grand voyage : le chemin est dur et le bistouri n'est pas une baguette magique.
■ Je serai elle, Sylviane Dullak, Éditions Presses de la cité, 1983, ISBN : 2258012430
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